Comment obtenir le champ 3D de déplacements par interférométrie radar?
La méthode interférométrique (InSAR) est utilisée depuis le début des années 1990 pour mesurer les déplacements de la surface du sol, d’origine naturelle ou artificielle. Chaque interférogramme fournit une mesure des déplacements du sol dans la direction du satellite (i.e. dans la direction de la ligne de visée ou LOS pour Line Of Sight). Pour retrouver les trois composantes, est-ouest, nord-sud et verticale des déplacements, au moins trois interférogrammes indépendants sont nécessaires, imageant le même événement dans des géométries d’acquisition différentes.
Du fait de la faible inclinaison du plan orbital des satellites radar par rapport au plan méridien, la composante nord-sud des déplacements retrouvés à partir des données interférométriques est généralement affectée d’une très forte incertitude. De même, la surface du sol étant imagée uniquement « par le haut » par les satellites, l’incertitude sur la composante verticale des déplacements InSAR est toujours plus forte que l’incertitude sur la composante est-ouest. Ces incertitudes sont plus ou moins importantes selon la géométrie des différentes lignes de visée disponibles. On peut évaluer cette géométrie en termes de dilution géométrique de précision comme cela est fait classiquement dans le traitement des données GNSS.
Dans un article publié en 2017 (Peltier et al. 2017), nous avions montré comment l’utilisation de plusieurs interférogrammes (entre 6 et 10), calculés à partir de données SAR acquises par différents satellites (CSK, TSX, RS2 S1, ALOS-2), en passage ascendant et descendant, en visée droite et gauche, permettait de réduire sensiblement la dilution géométrique de précision sur les composantes 3D des déplacements du sol associés aux quatre éruptions de 2015 au Piton de la Fournaise.
Nous avons pu à nouveau mettre en œuvre cette approche pour mesurer les déplacements produits par les dernières éruptions du Piton de la Fournaise, mais avec un gain de précision très significatif, en particulier sur la composante NS, grâce à l’utilisation exclusive des nombreuses données ALOS-2 Spotlight acquises par la JAXA sur le Piton de la Fournaise depuis le printemps 2021 (Table 1).
Une multitude de données ALOS (Spotlight) acquises au Piton de la Fournaise
Le scénario d’observation de base (Basic Observation Scenario ou BOS) de la JAXA pour ALOS-2 comprend, depuis le début de la mission, un petit nombre d’acquisitions en mode Spotlight sur un nombre limité de cibles (généralement des cibles isolées au milieu de l’océan, pour que le changement de mode d’acquisition n’entraîne pas de conflits de programmation). Nous avons ainsi pu obtenir régulièrement quelques images Spotlight sur chacune des éruptions survenues au Piton de la Fournaise entre 2014 et 2020. A partir du printemps 2021, la JAXA a augmenté de façon importante le nombre d’acquisitions Spotlight sur le Piton de la Fournaise, de telle sorte qu’environ 1200 scènes ont été acquises entre le printemps 2021 et le printemps 2024.
Ces scènes ont été acquises dans 26 track / frame différents (6 Ascending Right, 7 Ascending Left, 7 Descending Right, 6 Descending Left). En moyenne, sur la période printemps 2021 – printemps 2024, 46 scènes ont été acquises par track / frame, ce qui donne une fréquence d’acquisition moyenne par track / frame d’environ une scène tous les 22 jours, proche de la fréquence d’acquisition maximale possible (1 scène / 14 jours).
Si l’on écarte les données acquises dans les géométries correspondant aux angles de visée les plus verticaux qui, du fait de l’importance des phénomènes de foreshortening-layover, ne sont pas exploitables (track / frame 165/6764, 163/6778, 61/4034 et 63/4020), les angles d’incidence se distribuent entre 21.7° et 69.2° (angle par rapport à la verticale) et les « track heading angles » se distribuent entre -11.4° et 16.5° (angle par rapport à la direction EW).
Champ de déplacements déduit pour 5 intrusions magmatiques pour la période 2021-2023
Ici, nous avons mis en œuvre l’approche décrite dans Peltier et al (2017) sur les données ALOS-2 pour mesurer le champ 3D de déplacements associé aux quatre éruptions et à l’intrusion survenues au Piton de la Fournaise depuis le printemps 2021 (éruptions d’Avril 2021, de Décembre 2021, de Septembre 2022 et de Juillet 2023, intrusion d’Octobre 2021) (Figure 1).

La qualité des cartes de déplacements obtenues illustre le grand intérêt d’utiliser des données ALOS-2 acquises en mode Spotlight pour le suivi InSAR du Piton de la Fournaise. En effet :
- La bande L garantit une bonne cohérence interférométrique non seulement sur la zone sommitale du Piton de la Fournaise, dépourvue de végétation, mais aussi sur ses flancs couverts d’une végétation dense (végétation tropicale, plantation de cannes à sucre).
- La bande L est bien adaptée à l’amplitude des déplacements du sol généralement mesurés au Piton de la Fournaise à l’occasion d’une éruption ou d’une intrusion (de quelques dizaines de cm à 1.0-1.5 m). Les interférogrammes, calculés à partir de données acquises en bande C et, à fortiori, à partir de données acquises en bande X, sont plus facilement saturés par les plus forts déplacements ce qui induit des pertes plus ou moins importantes d’information, en particulier en champ proche.
- La résolution spatiale élevée des données ALOS-2 en mode Spotlight (1.43 m en range, 1.95-0.97 m en azimuth) contribue aussi à la bonne caractérisation des déplacements en champ proche.
Dilution géométrique et incertitude sur les composantes
Pour les exemples présentés dans la Figure 1, la grande diversité de géométries d’acquisition des données ALOS permet de diminuer de façon significative la dilution géométrique de précision (Figure 2) et d’obtenir des précisions exceptionnelles, pour la méthode InSAR, sur les déplacements inversés (Table 1).

Table 1: Mean standard errors and mean displacements in millimetres for each 2021-2023 eruption and each component. ɛx, ɛy, ɛz are the geometric dilution of precision of the EW, NS and UD components estimated for 1σ, σ being the standard error on the unwrapped, de-trended and scaled interferograms. For each eruption, the inner zone corresponds to the area affected by co-eruptive displacements, the entire zone to the Enclos Fouqué – Grandes Pentes area, the outer zone is the difference between the two previous ones. aA = Ascending; D = Descending; R = right; L = Left.
April 2021 | October 2021 | December 2021 | September 2022 | July 2023 | |
Number of interferograms used for the inversion of the 3D displacementsa | 3 AR, 4 AL, 6 DR, 1 DL | 4 AR, 6 AL, 6 DR, 4 DL | 4 AR, 6 AL, 6 DR, 4 DL | 4 AR, 6 AL, 6 DR, 4 DL | 5 AR, 6 AL, 6 DR, 4 DL |
Mean EW Standard Error, entire zone | 5.9 +/- 2.6 | 4.3 +/- 1.2 | 3.0 +/- 0.8 | 2.9 +/- 0.6 | 3.8 +/- 1.4 |
Mean EW Standard Error, inner zone | 7.8 +/- 2.8 | 6.0 +/- 1.8 | 3.68 +/- 0.9 | 3.4 +/- 0.9 | 5.2 +/- 1.7 |
Mean EW displacement and StD, outer zone | 0.19 +/- 4.6 | 0.10 +/- 4.4 | -0.40 +/- 2.7 | -0.08 +/- 2.8 | -0.56 +/- 3.9 |
ɛx | 0.38 | 0.29 | 0.29 | 0.29 | 0.28 |
Mean NS Standard Error, entire zone | 20.0 +/- 8.9 | 12.2 +/- 3.6 | 12.6 +/- 3.6 | 11.9 +/- 2.8 | 12.9 +/- 4.9 |
Mean NS Standard Error, inner zone | 26.4 +/- 9.4 | 17.1 +/- 5.3 | 15.3 +/- 4.0 | 14.1 +/- 3.9 | 17.6 +/- 5.8 |
Mean NS displacement, and StD outer zone | 0.60 +/- 16.0 | -0.05 +/- 12.2 | 0.69 +/- 11.5 | -2.1 +/- 11.2 | 0.48 +/- 12.9 |
ɛy | 1.63 | 1.29 | 1.29 | 1.29 | 1.29 |
Mean UD Standard Error, entire zone | 7.6 +/- 3.4 | 3.7 +/- 1.1 | 4.1 +/- 1.2 | 4.0 +/- 0.9 | 3.6 +/- 1.4 |
Mean UD Standard Error, inner zone | 10.1 +/- 3.7 | 5.2 +/- 1.6 | 5.0 +/- 1.3 | 4.7 +/- 1.3 | 4.9 +/- 1.6 |
Mean UD displacement and StD, outer zone | -0.05 +/- 6.1 | -0.34 +/- 4.0 | 0.99 +/- 4.0 | -0.17 +/- 3.9 | 0.18 +/- 3.4 |
ɛz | 0.48 | 0.37 | 0.37 | 0.37 | 0.35 |
Nous observons un gain de précision très significatif, en particulier sur la composante NS du champ de déplacement. En effet, la disponibilité de données acquises en visée droite et en visée gauche permet d’obtenir une erreur standard dans l’Enclos Fouqué comprise entre 10 et 25 mm pour l’intrusion de Juillet 2023 (Figure 3).

Ces résultats mettent clairement en évidence tout l’avantage qu’il pourrait y avoir dans le futur à utiliser des données acquises en bande L, en mode Spotlight, pour suivre les volcans actifs de la planète, dont un grand nombre, situé dans la zone inter-tropicale est couvert d’une végétation dense.
Références
Peltier, A., J.-L. Froger, N. Villeneuve and T. Catry (2017). Assessing the reliability and consistency of InSAR and GNSS data for retrieving 3D-displacement rapid changes, the example of the 2015 Piton de la Fournaise eruptions. J. Volcanol. Geotherm. Res., http://dx.doi.org/10.1016/j.jvolgeores.2017.03.027